Actualités Le Centre d’Appui mis en demeure par Modero pendant son audition au Parlement

Le Centre d’Appui mis en demeure par Modero pendant son audition au Parlement

Publié le : 3 décembre 2025

Le 4 novembre dernier, la directrice du Centre d’Appui Anne Defossez était invitée au Parlement pour intervenir lors d’une session de la Commission Justice sur « la problématique de l’industrie de l’endettement et des pratiques illégales de certains huissiers de justice ». Alors même qu’elle était encore en train de répondre aux questions des parlementaires, l’étude Modero a annoncé à la presse qu’elle avait adressé « une mise en demeure au Centre d’Appui et à sa directrice ».

Dans le communiqué de presse publié sur son site internet pendant l’audition, l’étude Modero se dit victime « d’accusations publiques factuellement incorrectes, tant sur la forme que sur le fond, accusations qui porteraient atteinte à sa réputation » (voir l’article du Soir).

La session peut être revisionnée au complet sur le site du Parlement.

Le 14 novembre dernier nous avons en effet reçu par le poste une mise en demeure recommandée nous demandant de cesser immédiatement de diffuser, de quelque manière que ce soit, des allégations et des accusations infondées concernant Modero et de nous abstenir de le faire à l’avenir. Il nous est demandé, en outre, « de supprimer immédiatement et au plus tard dans les 5 jours à compter d’aujourd’hui toute publication infondée, trompeuse et injustement diffamatoire de votre site web, ou d’y ajouter un commentaire qui reflète objectivement le résultat ou l’état d’avancement de l’affaire, ou qui précise que l’allégation ne concerne pas Modero » (nous surlignons).

Ces menaces visant à nous faire taire n’ont pas eu les effets escomptés… Nous avons eu beaucoup de réactions de soutien de parlementaires qui étaient assez choqués par ce procédé, et nous avons également appris que l’étude Modero s’est excusée auprès d’eux.

Rétroactes

Pour rappel, cette audition faisait suite à la récente publication de l’enquête « Huissiers : leur univers impitoyable» dans le journal Le Soir, les membres de la commission de la Justice ayant souhaité entamer une discussion sur « la problématique de l’industrie de l’endettement et des pratiques illégales de certains huissiers de justice ». 

Quatre auditions ont été organisées. Une première audition de la Chambre Nationale des Huissiers de Justice a eu lieu le 2 juillet. Le compte-rendu vidéo de cette audition est disponible en ligne.

Une deuxième audition, organisée le 24 septembre, a permis d’entendre les points de vue des études Modero et Leroy qui avaient été directement mises en cause dans les articles parus dans Le Soir. Le compte-rendu vidéo de cette audition est disponible en ligne.

Les deux autres auditions, du 7 octobre et du 4 novembre, étaient réservées aux personnes et organisations invitées par les parlementaires[1].

Nos constats, partagés par d’autres acteurs de terrain

A l’occasion de cette audition, nous avions communiqué un texte aux parlementaires. Ce document de synthèse, disponible en bas de page, analyse les dérives systémiques dans le secteur du recouvrement de dettes des consommateurs en Belgique, en se basant sur une analyse approfondie des pratiques illégales menées par une minorité d’huissiers de justice.

Lors de ces auditions, nous n’avons pas été les seules à dénoncer les pratiques abusives de certaines grosses études. D’autres acteurs de terrain (et non des moindres) ont fait les mêmes constats que nous. Nous vous en livrons ici quelques morceaux choisis.

Avis de l’Ordre des barreaux francophones et germanophones de Belgique

Les avocats reçoivent régulièrement des témoignages de leur client qui s’étonnent qu’une citation ait été déposée dans leur boîte aux lettres alors qu’ils étaient présents à leur domicile au moment où l’huissier est passé (voire même qui l’ont vu déposé le pli dans leur boîte aux lettres). Celui-ci n’a manifestement pas pris la peine de sonner.

Je viens d’être récemment confrontée à un comportement plus qu’interpellant d’une étude d’huissiers de M… opérant le recouvrement des factures de l’hôpital V…. Mes clients n’ont aucune difficulté financière. Pour une raison inconnue, ils n’ont pas reçu une petite facture de l’hôpital (12.5€), ni le rappel… Ils reçoivent quelques mois plus tard une mise en demeure de payer plus de 214€, sous quinzaine. Ils prennent contact avec l’étude et se font éconduire sèchement. Ils téléphonent à l’hôpital qui expose que malheureusement, certains patients sont dans le même cas. Qu’ils ne peuvent rien faire à leur niveau (même s’ils sont d’accord de s’en tenir au principal). Qu’ils vont adresser dorénavant les factures par mail. Je tente de négocier avec l’étude, en vain. Mes clients paient conformément à la mise en demeure, le principal quinze jours avant l’audience. Sur la mise en demeure, deux dates… Le paiement qui doit intervenir 15 jours avant l’audience (en l’occurrence avant le 7 avril) et le paiement qui doit être sur compte de l’étude avant le … 4 avril.) Mes clients paient en instantané le 6 avril 2025 pour éviter des poursuites et … des frais de conseil. A notre grande surprise, l’affaire est… enrôlée. L’étude exposant à mes clients qu’ils ont enrôlé avant de voir le paiement et que je cite :  » de toute façon ils ont payé le 6 et non le 4″. Je décide de comparaitre bénévolement tant la situation me révolte …

Pour moi les problèmes constatés sont les suivants : – trop grande promptitude à mettre en place des actes préjudiciable : alors que mon intervention est connue, que je suis très réactive (mon client aussi), l’huissier préfère privilégier un acte facturable plutôt qu’une relance pour vérifier que le plan de paiement suit son cours) ; – absence de réponse de l’ombudsman ; – difficulté d’obtenir une réponse lorsqu’on écrit à un huissier (pour demander un décompte ; une information ; la possibilité de payer directement chez le créancier plutôt chez l’huissier => ce dernier problème est d’ailleurs assez généralisé dans les dossiers dont je m’occupe. Cela implique que mes clients se retrouvent « obligés » de payer chez l’huissier directement, alors que c’est leur droit de préférer payer chez le créancier directement pour éviter divers frais). A noter que les difficultés de communication sont essentiellement liées à de plus grosses études.

Régulièrement, je note la multiplication des prestations inutiles et onéreuses. Comme avocats, on fait tout pour privilégier l’amiable, tenter de solutionner hors procédure et hors démarches coûteuses et j’ai l’impression que c’est la logique inverse qui prévaut chez les huissiers. Que de dossiers avec des prestations 100% inutiles mais facturables… Et le meilleur, dans une grosse étude et relativement à un contentieux « de masse » (« énergie) dans lequel l’huissier part de modèles qu’il adapte : j’ai eu à plusieurs reprises des citations contre la même personne introduites à la même audience mais… séparées, l’une pour le gaz et l’autre pour l’électricité => tous les frais doublés alors qu’une seule citation signifiée une seule fois suffisait.

Avis de l’Union royale des juges de paix

Le juge de paix est fréquemment saisi de citations pour des montants dérisoires et il ressort souvent du fichier central des avis qui est annexé à la citation que la situation financière du débiteur est obérée. Beaucoup de consommateurs présents à l’audience se plaignent d’avoir été confrontés à un dialogue de sourds avec le bureau de l’huissier de justice à l’occasion de leur demande de facilités de paiement ou de leur contestation de la dette.

Il est illusoire de prétendre qu’un huissier chargé de signifier plus d’une centaine de citations par jour puisse garantir ce rôle de facilitateur qu’on attend de lui ainsi que de la garantie que le débiteur est bien touché en personne par la citation. Plusieurs échantillons de nos dossiers ont d’ailleurs démontré que les citations signifiées à personne représentent moins de 15% du total et que dès lors plus de 85% sont envoyés par courrier recommandé entrainant des frais de port supplémentaires.

De plus, il est devenu l’usage que l’huissier présente sur la première page de la citation un décompte en précisant au débiteur que s’il paie ce montant, la cause ne sera pas inscrite au rôle et qu’aucune indemnité de procédure ne sera réclamée. Souvent, ce décompte ne reprend ni la déduction de l’intervention du fonds de solidarité, mais intègre également les clauses pénales ou autres indemnités forfaitaires qui ne passeraient pas le contrôle du juge. En cela, ledit décompte précédant la citation constitue une « tromperie » du débiteur.

Le rôle ambivalent de l’huissier qui pratique à la fois le recouvrement amiable et le recouvrement judiciaire est également évident quand tout au long de la procédure de recouvrement amiable, il réclame le paiement d’une clause indemnitaire et d’intérêts importants que le débiteur mal informé paiera mais au moment de la citation, cette clause indemnitaire ne sera plus réclamée parce que l’huissier sait qu’elle ne sera pas accordée par le juge.

Un exemple : Une société de recouvrement est mandatée par un hôpital pour recouvrer des factures de soins de santé. La société lui réclame la somme de 84,06 € à payer avant le 23/11/2022. Ce montant comprend une clause indemnitaire de 25 € et des intérêts comptabilisés à par r de l’échéance des factures Le débiteur paie 29 € le 5/12/2022 et un montant de 20 € le 07/12/2022. L’huissier lui adresse une citation le 21/12/2022 et sollicite un montant de 54,93 €. La citation ne reprend pas la clause indemnitaire de 25 € ni les intérêts. Le débiteur a donc été cité pour un solde de 5,93 € engendrant des frais d’huissier de plus de 300 €. En l’espèce, le juge de paix a condamné le demandeur à une amende civile alors que pourtant il aurait été plus opportun de sanctionner l’huissier. Il est donc de pratique courante que l’huissier réclame des frais au cours de la procédure de recouvrement amiable tels des clauses indemnitaires que le débiteur mal informé prend en considération dans ses paiements alors que l’huissier sait que ces clauses seront annulées par le juge parce que qu’elles sont déclarées abusives (voir l’article VI.83 17° et 24° du Code de droit économique). Or la sanction de cet « abus », est imposée au créancier, alors que souvent il ignore les « écarts » de son huissier de jus ce. Quant à l’huissier, il est, nonobstant sa « manœuvre répréhensible », intouchable, ce qu’il sait pertinemment.

La Chambre Nationale des huissiers de Justice

Le Président de la Chambre Nationale des huissiers de justice Quentin De Bray a lui-même reconnu que « certains phénomènes restent difficiles à éradiquer, comme le recours dissimulé au “no cure, no pay”, interdit par les règles de déontologie » tout en soulignant que « certaines autorités publiques, y compris des communes ou provinces, encouragent explicitement, ou à tout le moins tolèrent, le recours à des modalités interdites comme le “no cure, no pay” ».

Interpellé sur la question des abus relayés dans le cadre du recouvrement de Bruxelles Parking, Quentin de Bray a rappelé que, légalement, une contrainte ne peut être rendue exécutoire que si la créance est exigible, certaine et définitive, conformément notamment à l’article 137 du Code de la démocratie locale. Si les témoignages sont avérés, cela signifierait que certains huissiers de justice « sont contraints d’exécuter des titres juridiquement irréguliers, sans pouvoir en vérifier eux-mêmes la légitimité ». Il a rappelé que « seul le juge des saisies est compétent pour annuler une contrainte irrégulière, mais admet que les coûts élevés des procédures dissuadent les citoyens de contester. Si des irrégularités sont confirmées, la Chambre nationale prendra les mesures nécessaires, comme elle le fait déjà dans d’autres dossiers moins médiatisés. »

L’orateur reconnaît qu’avant 2024, la Chambre nationale ne disposait pas des outils légaux pour exiger des documents ou interroger directement les études. La réforme du code de déontologie, entrée en vigueur le 1er janvier 2024, introduit désormais cette obligation de coopération des études envers la Chambre nationale et les instances disciplinaires. Il affirme que ce nouveau pouvoir est exercé, notamment dans le dossier Parking Bruxelles, où l’étude Leroy a été formellement interrogée.

Les avocats de l’Orde van Vlaamse Balies ont également partagé des arguments allant dans ce sens. Ils seront disponibles lors de la publication du PV de la session par la Chambre.

Annexe : Notre synthèse transmise aux parlementaires

L’intervention d’un huissier de justice, officier ministériel assermenté soumis à des règles déontologiques strictes, devrait normalement garantir le respect de la loi et mettre les débiteurs à l’abri de dérives. Cependant, la réalité est tout autre. Depuis plusieurs années, une multiplication de plaintes, d’articles de presse et de propositions parlementaires dénoncent les mêmes pratiques illégales : décomptes injustifiés et inexacts, harcèlement, menaces et multiplication de frais abusifs. Les services de médiation de dettes alertent les autorités publiques sur le fait que ces pratiques accélèrent la « spirale du surendettement » et aggravent la situation des personnes les plus précarisées.

Le cœur du problème réside dans l’utilisation généralisée de contrats de type « no cure, no pay », par lesquels des études d’huissiers, structurées comme des entreprises commerciales, s’engagent à recouvrer des créances pour un montant forfaitaire dérisoire, voire gratuitement, pour le créancier.

Cette pratique, illégale en phase judiciaire et contraire à la déontologie en phase amiable, crée un conflit d’intérêts fondamental. Pour se rémunérer, l’huissier est incité à multiplier des actes de procédure inutiles et coûteux, dont la charge est entièrement reportée sur le débiteur. Ce mécanisme transforme des dettes initialement modestes en montants exorbitants, accélérant la « spirale du surendettement » et aggravant la précarité des ménages les plus vulnérables.

Nos constats révèlent une défaillance généralisée des mécanismes de contrôle. Le contrôle déontologique, exercé par la profession elle-même, est inefficace en raison d’un manque de transparence, de procédures partiales et de la forte interdépendance économique entre les études d’huissiers. Le contrôle judiciaire, tant en amont qu’en aval, s’avère également insuffisant, les débiteurs étant souvent démunis pour faire valoir leurs droits. La responsabilité des créanciers, y compris publics, est engagée lorsqu’ils acceptent ces arrangements qui favorisent des pratiques illicites.

Les nouvelles mesures prises en 2024 pour mettre fin aux abus sont un pas dans la bonne direction mais elles n’auront, de toute évidence, pas les effets escomptés. Face à cette situation, des réformes structurelles urgentes sont impératives pour garantir l’indépendance de la profession, instaurer un contrôle efficace et protéger les consommateurs.


[1] Alain-Laurent Verbeke (prof. dr. KUL), Christian Préaux (Huissier de justice), SPF Economie (observatoire des prix), Union Royale des Juges de Paix et Juges de Police, Reinhard Steennot (prof. dr. UGent), Centre d’appui Médiations de dettes, Orde van Vlaamse Balies, Ordre des barreaux francophones et germanophones de Belgique, Réseau Belge de Lutte contre la pauvreté, UCM, Unizo